Ludovic Ngatsé, ministre délégué chargé du Budget
Le ministre délégué auprès du ministre des Finances et du Budget, chargé du Budget réagit positivement à l’annonce faite par le Club de Paris* de la suspension, jusqu’à la fin de cette année, du service de la dette du Congo. Selon Ludovic Ngatsé, qui s’est prêté aux questions des Dépêches de Brazzaville, « ce moratoire donne de l’oxygène au gouvernement pour financer les dépenses urgentes liées à la crise Covid-19 et concourt à l’amélioration de l’équilibre budgétaire pour l’année en cours ». Il se félicite par ailleurs du « rôle décisif » joué par le président de la République qui, déclare-t-il, a « coordonné personnellement l’organisation de l’équipe chargée de négocier cet accord ». Interview.
Les Dépêches de Brazzaville (LDB). Monsieur le ministre, dans le cadre de ses relations avec ses partenaires financiers, le Congo vient de bénéficier de l’initiative de suspension du service de la dette, a annoncé le Club de Paris. En termes clairs, que signifie cette opportunité ?
Ludovic Ngatsé (LNG). Comme vous le savez, depuis le début de l’année 2020, la pandémie du Coronavirus (Covid-19) a, en plus de la crise sanitaire, causé une crise économique sans précédent, qui a des impacts considérables sur les équilibres macroéconomiques de tous les pays du monde. C’est au regard de cette profonde crise que les institutions de Bretton Woods, en l’occurrence la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), ont chargé les pays du G20 de proposer des mesures pouvant aider les pays pauvres à bénéficier des marges de manœuvres nécessaires en vue de lutter contre ce fléau, et amortir ce choc sur le plan économique et social. C’est donc à ce titre que les pays du G20, réunis le 15 avril 2020, ont décidé de la mise en place d’un moratoire sur le service de la dette des pays les plus pauvres. L’objectif principal étant de permettre à ces pays de consacrer les ressources initialement affectées au paiement de la dette à l’amortissement des impacts sanitaire, social et économique de la crise Covid-19.
LDB. Quand le Club de Paris recommande au Congo de « consacrer les ressources libérées par cette initiative à l’augmentation des dépenses dédiées à atténuer l’impact sanitaire, économique et social de la crise Covid-19 », comment cela se traduira –t-il concrètement sur le terrain ?
L.NG. De façon concrète, cette initiative permet de réaffecter une partie des charges de la dette vers les dépenses urgentes liées à la lutte contre la crise Covid-19. En effet, la loi de finances rectificative 2020 comporte en termes de charge pour l’amortissement de la dette extérieure une somme de 610 milliards et près de 102 milliards pour le paiement des intérêts. Une partie de ces engagements a été payée au premier trimestre 2020, conformément au tableau d’amortissement prévu avec les différents créanciers. La présente décision prise par les pays du G20 implique que le Congo, pour la période allant du 01 mai au 31 décembre 2020, ne payera pas la dette des pays ayant participé à cette initiative.
Conformément aux dispositions de cet accord, le Congo consacrera les marges ainsi libérées pour faire face aux dépenses nées du fait de la pandémie sur le triple plan sanitaire, économique et social. Les différents fonds créés par le président de la République son excellence Denis Sassou N’Guesso, à savoir le fonds Covid et le fonds national de solidarité répondent à cet objet.
LDB. L’initiative de Paris court du 1er mai au 31 décembre 2020, pensez-vous qu’en huit mois, le moratoire sur le remboursement de la dette obtenu par le Congo peut lui permettre de rétablir les équilibres macroéconomiques ?
L.NG. Les mesures de confinement prises par le gouvernement pour contenir la propagation de la pandémie ainsi que la chute brutale des cours du baril de pétrole, ont créé un double choc d’offre et de la demande qui a significativement entamé les équilibres intérieur et extérieur. Ainsi, le moratoire du Club de Paris, en plus de donner de l’oxygène au gouvernement pour financer les dépenses urgentes liées à la crise de Covid-19, permet d’alléger la contrainte extérieure du pays, et concourt d’une manière ou d’une autre à l’amélioration de l’équilibre budgétaire pour l’année en cours. « Toutefois, des efforts restent à fournir en vue du redressement des fondamentaux macroéconomiques du pays, étant entendu que ceux-ci dépendent plus des facteurs endogènes, notamment de l’orientation des politiques budgétaire, financière et structurelle du gouvernement ».
Dans le cadre du programme triennal de Facilité élargie de crédit signé avec le Fonds monétaire international, l’objectif principal est le rétablissement des équilibres macroéconomiques du pays sur une période de trois ans. Le gouvernement a pris l’engagement, en dépit de cette crise aigüe, de maintenir la trajectoire initiale définie avec les partenaires techniques et financiers extérieurs afin que soient rétablis au bout de la période du programme, ou pourquoi pas avant, les équilibres macroéconomiques du pays.
LDB. Le gouvernement congolais est toujours en programme avec le FMI. Comment situer la décision du Club de Paris par rapport à ce programme ?
L.NG. Quatre critères ont prévalu pour l’admission du Congo à cette initiative, il s’agit : être un pays membre de l’IDA (Association internationale de développement) ou de la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) ; ne pas avoir des arriérés de paiement vis-à-vis de la Banque mondiale et du FMI ; être un pays pauvre au regard des indicateurs fixés par les Nations unies ; et avoir signé un programme avec le FMI. Au regard de ce qui précède, on peut constater effectivement que le programme conclu avec le FMI n’est pas neutre dans cette décision du Club de Paris.
LDB. L’accord conclu par le Congo et le FMI, le 11 juillet 2019, était assorti d’une série de mesures, 48 au total, d’après diverses sources, où en est-on avec la mise en œuvre de ces mesures et que reste-t-il de la poursuite du partenariat avec le FMI ?
L.NG. Depuis la conclusion du programme avec le FMI, le 11 juillet 2019, le gouvernement s’attèle à mettre en œuvre les mesures contenues dans le mémorandum de politiques économique et financière. Des progrès ont été accomplis dans la mise en œuvre des réformes structurelles, notamment celles qui visent à améliorer la gouvernance et la transparence, ainsi qu’à intensifier la lutte contre la corruption.
A ce jour, de manière générale, la mise en œuvre de ces 48 mesures est satisfaisante, au regard de leur niveau d’exécution, et cela a été confirmé lors de la dernière mission réalisée par les équipes du FMI à Brazzaville, en février 2020.
L.D.B. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous parler en quelques mots du niveau des négociations entre le Congo et les traders et aussi de la relation avec la Chine, pays qui détient la part la plus importante de la dette congolaise ? « S’agissant des traders, le gouvernement a récemment signé un accord de restructuration avec le négociant Orion Oil, assorti d’une décote conforme aux paramètres du programme conclu avec le FMI. En revanche, les discussions se poursuivent avec les deux autres traders (Glencore et Trafigura) », et je reviendrai vers vous au moment opportun pour vous en dire plus.
Nos relations avec la République populaire de Chine sont excellentes, et vous l’avez constaté qu’elle a été l’un des rares pays à nous soutenir fortement dans la lutte contre la pandémie de Covid-19. La Chine étudie les modalités de se joindre à l’initiative du Club de Paris, et nous ne doutons pas que cela devrait libérer d’autres ressources pour le pays.
Propos recueillis par Gankama N’Siah
*Le Club de Paris, a expliqué le ministre « est un groupe de créanciers publics dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées et durables aux pays endettés qui éprouvent des difficultés de paiement. Il est actuellement formé de 22 pays, dont Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Brésil, Canada, Corée, Danemark, Espagne, États-Unis, Finlande, France, etc. Nonobstant le fait qu’il n’a pas le caractère d’une institution internationale et ne dispose pas de statut juridique officiel, le Club de Paris est un acteur déterminant au sein de la communauté financière internationale, aux côtés des institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale). Les créanciers du club de Paris accordent aux pays endettés un allègement de leur dette pour les aider à rétablir leur situation financière. Ceux-ci peuvent prendre plusieurs formes à savoir : un rééchelonnement ou, en cas de traitements concessionnels, une réduction des obligations du service de dettes pendant une période définie ».
Gankama N'Siah (Les Dépêches de Brazzaville)